8. Actions au-delà des dialogues

Un changement de culture, l’intentionnalité et la responsabilisation

Il peut y avoir une grande résistance au changement. Les professeurs, les membres du personnel et les étudiants ne peuvent pas être simplement forcés d’adopter des changements, mais doivent être pleinement soutenus et guidés dans ces changements. Le financement représente un autre enjeu. On s’attend souvent que les professeurs travaillent à la conception universelle pendant leurs temps libres. Dans bien des cas, aucun moment n’est prévu pour former, surveiller et soutenir les professeurs dans ce travail. Un plan financier doit être en place pour soutenir l’accès non anticipé des étudiants, des membres du personnel et des professeurs.

Le milieu postsecondaire devrait viser une véritable inclusion. Pour ce faire, on peut commencer par considérer le capacitisme comme un enjeu systémique enchâssé dans les établissements et non comme une forme individuelle de discrimination. Tout comme le racisme, le sexisme et l’âgisme ne se limitent pas au préjudice d’un individu envers un autre, mais ces enjeux, d’ordre structurel, sont profondément enracinés. Une solution consisterait à envisager la décolonisation des politiques et des pratiques. La décolonisation a créé des conditions propices aux premières étapes de l’abolition des systèmes âgistes, sexistes et racistes et pourrait également fournir un parcours vers l’abolition du capacitisme.

Le rôle de la haute direction n’est pas à négliger. Il faut la volonté d’intégrer les politiques inclusives et d’en financer la mise en oeuvre. La direction peut également promouvoir des prises de décision collectives en créant des occasions pour que les étudiants, les professeurs et les membres du personnel ayant des handicaps partagent leurs expériences et influent sur les politiques. En faisant valoir ces points de vue, on favorise non seulement un plus grand sentiment d’appartenance et d’inclusion au sein d’un établissement, mais on contribue également à responsabiliser la direction. La direction des établissements postsecondaires doit également s’engager à recueillir des données pour s’assurer de réaliser des progrès sur le plan de l’accessibilité. Elle doit s’assurer de l’adoption de programmes d’enseignement et de formation qui aideront tous les membres de leur communauté à reconnaître et à combattre le capacitisme.

Lorsqu’on s’engage à corriger le capacitisme et à créer des milieux universitaires accessibles, il faut avoir des objectifs délibérés dès le début du projet, et non à la fin. Les politiques qui éclairent un projet tiennent-elles compte des droits de la personne et des points de vue de personnes qui ont des expériences vécues? Qui dirige le processus? Qui n’est pas représenté? À quoi ressemble un engagement significatif? Les gens ont-ils l’occasion de s’épanouir?

Un cadre s’impose pour orienter les décisions. Ce cadre peut inclure une liste de choses à faire (telles que des consultations, la représentation dans les groupes de direction et la collaboration avec des communautés diversifiées) pendant le processus décisionnel. Des actions significatives peuvent également consister à s’assurer que les personnes les plus touchées par des systèmes oppressifs se voient donner le temps et l’espace de partager leurs expériences. Elles peuvent se traduire par l’offre de lieux à d’autres groupes ou par du militantisme pour le compte d’autres groupes.

Les panélistes ont constaté que pour agir, il faut remettre en question l’équilibre des pouvoirs, de même que l’intérêt pour des systèmes et des cultures immobilistes. La formation des membres du personnel et des professeurs par des ateliers, des séminaires, des visites sur le terrain, des dialogues et des cours peut contribuer à présenter une vision intersectionnelle. La représentation est également capitale. Les comités et les groupes d’embauche doivent être diversifiés et refléter les communautés qu’ils représentent. Il est également important que les étudiants, les professeurs et les membres du personnel ayant des handicaps et leurs alliés remettent constamment en question leur leadership pour s’assurer que ces instances soient tenues responsables de respecter les objectifs d’accessibilité. Les leaders postsecondaires doivent prouver qu’ils atteignent ces cibles en les mettant constamment à jour et en les corroborant par des données significatives accessibles au public. 

La mutualité, le partage du savoir et les occasions d’innovation inclusive

De nombreux établissements postsecondaires sont immenses et fragmentés; les politiques et les pratiques d’un département peuvent différer de celles d’un autre. De même, des étudiants ayant des handicaps peuvent affronter des obstacles à l’apprentissage semblables à ceux d’autres étudiants sur le campus. Par exemple, les obstacles avec lesquels les étudiants internationaux doivent composer pour accéder à des services adaptés à leur culture peuvent refléter ceux des étudiants ayant des handicaps. Il pourrait être utile d’éliminer les vases clos, de collaborer entre établissements et de regrouper les ressources pour venir en aide à tous les étudiants. Les établissements peuvent également créer des lieux, y compris des endroits ancrés dans le handicap et la culture, tels que des galeries d’art axées sur les personnes en situation de handicap, afin de contribuer à favoriser un sentiment d’appartenance, d’encourager le dialogue et d’incuber de nouvelles idées.

Certaines fonctions d’accessibilité peuvent également profiter à tous les membres d’un établissement. Si elles sont déjà intégrées, elles seront moins coûteuses à mettre en oeuvre à grande échelle. En priorisant les principes de conception universelle dans les classes et l’environnement bâti et en créant des mesures incitatives pour que les membres du personnel enseignant élaborent des éléments de conception universelle, on pourra réduire au minimum les mesures d’adaptation après le fait.

L’inclusion des principes d’accessibilité dès le début d’un projet, comme la reconception d’un site Web ou d’un nouvel édifice, peut être moins coûteuse et plus efficace que des mises à niveau réalisées plus tard. Par exemple, si les documents internes sont préparés pour être lus par synthèse vocale, n’importe qui pourra les lire en tout temps.

Pour ce qui est de l’environnement physique, les concepteurs d’édifices connaissent le code du bâtiment local, mais tiennent-ils compte de la neurodivergence ou de l’identité de genre lors de leur planification et de leurs consultations? Ont-ils réfléchi aux personnes qui utilisent des aides à la mobilité pour concevoir leurs toilettes? Ces facteurs ne font pas partie des exigences des codes du bâtiment locaux, mais ces codes ne sont pas pleinement représentatifs des besoins de toute la communauté. Les pratiques de planification et de conception devraient inclure des partenariats avec des personnes en situation de handicap pour déterminer les obstacles, étudier les solutions au moyen d’outils de planification et intégrer des pratiques exemplaires en matière d’accessibilité au cursus des programmes de planification urbaine.

Les échanges sur les mesures d’adaptation devraient englober des enjeux systémiques et structurels plus vastes au sujet de la charge de travail et du stress de l’étudiant. La pandémie a fait germer la possibilité d’adopter un modèle d’enseignement hybride qui inclut un apprentissage en ligne et en personne. Il a été souligné que la structure d’apprentissage traditionnelle, c’est-à-dire en personne, dans le cadre de cours magistraux de plusieurs heures ou de tutoriels livrés au sein de semestres de 12 semaines et à l’aide de tests ou d’examens à durée déterminée, ne correspond pas aux véritables expériences de vie ou d’apprentissage des étudiants. Il est peut-être temps de réévaluer ce modèle d’enseignement et de privilégier des approches plus personnalisées comme l’apprentissage en ligne, ainsi que de meilleures expériences d’apprentissage individuelles ou en petits groupes, de même que des systèmes mixtes (en ligne et en personne) ou qui ne sont pas divisés en semestres.

La pandémie a accru l’accès de diverses façons. En se tournant vers des services en ligne, les éducateurs ont appris à préparer des séquences vidéo, à fournir des transcriptions et à diffuser des moyens pour que les étudiants puissent accéder à la matière en tout temps. Ce peut aussi être une occasion de réévaluer les examens à durée déterminée. Les panélistes ont souligné que selon les recherches, les étudiants n’apprennent pas davantage, ne retiennent pas plus la matière et n’étudient pas de manière plus efficace lorsqu’un examen est à durée déterminée. Par exemple, un examen d’évaluation du savoir de trois heures ne pourra pas nécessairement mesurer l’aisance ou la capacité d’utiliser diverses stratégies davantage que des travaux. Les examens à durée déterminée peuvent également susciter des taux élevés de stress et d’anxiété, qui peuvent nuire à la performance de l’étudiant.

Une collaboration pansectorielle

Le milieu postsecondaire pourrait faire un meilleur travail pour créer un système harmonieux d’un établissement à l’autre, et ainsi abolir les politiques, pratiques et protocoles capacitistes. Ce travail pourrait se concrétiser par l’harmonisation des politiques d’accessibilité dans l’ensemble du secteur, et la promotion de possibilités de formation sectorielles ou de collaborations pour que le système postsecondaire soit tenu de rendre des comptes. Pour ce faire, une charte ou une entente semblable à celle des premiers Dialogues nationaux et plan d’action contre le racisme anti-Noir et pour l’inclusion des Noirs dans l’enseignement supérieur canadien pourrait être rédigée.

Le secteur pourrait également faire un meilleur travail d’anticipation des exigences en matière d’accessibilité. Ces exigences sont souvent abordées selon la perspective des ressources humaines, c’est-à-dire qu’il incombe à un bureau du bien-être de fournir les services. Le fait de demander aux étudiants ayant un handicap de se rendre à un bureau du bien-être pour discuter de leurs besoins d’accès est un processus obsolète et humiliant. En médicalisant leur handicap, on leur fait comprendre que ce handicap a besoin d’être réparé, ce qui est loin de le considérer comme acceptable. De plus, il est humiliant pour les étudiants de devoir retourner constamment au bureau du bien-être pour « prouver » leur handicap et recevoir des mesures d’adaptation.

Un panéliste a proposé que ses collègues professeurs et membres du personnel ayant des handicaps puisent dans leurs expériences communes pour former des relations interdépendantes. Ils créeront ainsi un modèle travail-vie qui les protégera des normes universitaires hyperproductives (comme la nécessité de ne jamais arrêter de publier des résultats de recherche et d’obtenir des subventions), mais leur permettra de répondre aux exigences du travail postsecondaire. Ils pourraient partager leurs ressources et leurs pratiques exemplaires avec leurs collègues, profiter d’un meilleur accès aux subventions et aux bourses internes ou obtenir plus de sièges à la direction pour commencer à abolir les politiques et pratiques capacitistes de leurs établissements.

Le milieu postsecondaire peut réseauter et collaborer pour harmoniser les politiques d’achat afin que les fournisseurs soient tenus de créer des produits accessibles. Le matériel et les pratiques exemplaires pour l’achat de produits accessibles peuvent également être diffusés entre collègues du secteur. Une politique d’achat accessible doit couvrir toute la vie utile d’un produit, de sa conception à sa mise en oeuvre, en passant par la formation. Elle doit être transmise à tous les fournisseurs, afin de définir clairement les exigences pour faire affaire avec une organisation.

Les professeurs et les membres du personnel peuvent demander aux fournisseurs de manuels si leurs produits sont accessibles aux SGA. De nombreux étudiants détestent devoir utiliser divers SGA, notamment lorsqu’ils ne sont pas accessibles. Les établissements pourraient donc tenter de limiter le nombre de SGA qu’ils utilisent. D’après la conception universelle, la technologie devrait être simple et facile à utiliser. Les établissements peuvent également exercer des pressions sur les fournisseurs pour qu’ils rendent leurs produits et conceptions accessibles, notamment au moyen d’actions collectives. Les établissements devraient également enseigner les fonctions d’accessibilité intégrées aux personnes qui utilisent les SGA. Il est important que les mesures de financement et de soutien soient mises non seulement à la disposition des étudiants ayant des handicaps, mais également des départements, afin qu’ils n’aient pas à assumer seuls l’achat de technologies et manuels accessibles.

Des compétences collectives s’imposent également quant à l’accessibilité et à l’inclusion dans les établissements; elles ne peuvent pas reposer seulement sur un individu ou un petit groupe. Autrement dit, tous les professeurs et les membres du personnel ont besoin de recevoir une formation sur les politiques et les pratiques exemplaires pour intégrer l’accessibilité à leur travail. De plus, une tenue de dossier exemplaire s’impose pour que les départements et les établissements soient tenus de rendre des comptes quant à la création de lieux accessibles. Les professeurs et les membres du personnel doivent aussi confirmer l’ergonomie des produits et services pour en garantir l’accessibilité et éviter les erreurs lors de futurs achats. Enfin, les établissements doivent accorder plus d’attention aux facteurs d’accessibilité des cours magistraux (tels que le choix des lieux, les emplacements multiples, la distance entre les lieux, la technologie, les animaux d’aide et les dispositifs d’aide).
 


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