4. Le capacitisme et le milieu universitaire canadien – une remise en question de la culture et des systèmes d’exclusion

NDA 2022 - panelist images: Ableism and the Canadian Academy: Interrogating the Culture and Systems of Exclusion

Au début de la première séance, les panélistes ont défini le capacitisme et ses diverses formes dans l’enseignement supérieur au Canada. Ils ont exploré les manifestations du capacitisme dans les établissements postsecondaires, tant par le passé qu’aujourd’hui, son coût social et les expériences qu’en font les étudiants, les professeurs et le personnel en classe et sur le campus. Ils ont également échangé sur la différence entre l’accessibilité et les mesures d’adaptation ainsi que sur la nécessité d’élargir l’accès dans l’ensemble du secteur. 

Une mise en contexte : la définition et la pratique du capacitisme dans l’enseignement supérieur au Canada 

Fondamentalement, le capacitisme est un système d’oppression qui privilégie les personnes sans handicap. C’est un mode de discrimination envers les personnes ayant des handicaps, qui repose sur la perception de supériorité du corps non handicapé. Le capacitisme présuppose que les personnes ayant des handicaps doivent être « réparées » et les définit par leur handicap. C’est un système de croyances, semblable au racisme, au sexisme et à l’âgisme, selon lequel les personnes ayant des handicaps sont moins dignes de respect et de considération, sont moins en mesure de contribuer et de participer et ont moins de valeur intrinsèque que d’autres.

Le capacitisme peut être conscient ou inconscient, et il est enchâssé dans les institutions, les systèmes et les attitudes de la société.

Les panélistes ont exploré la notion du capacitisme structurel, qui imprègne les pratiques et les protocoles des établissements. Le capacitisme structurel, présent dans la culture et les attitudes des établissements, s’est normalisé au fil du temps. Il se caractérise, entre autres, par la notion selon laquelle les obstacles sont des problèmes individuels que doit surmonter l’étudiant, le professeur ou le membre du personnel de lui-même, généralement par une mesure d’adaptation. Autrement dit, les personnes qui ont un handicap portent le poids de « s’intégrer » à un établissement. Elles sont perçues comme un fardeau pour l’établissement, et leurs divers besoins sont considérés comme des problèmes médicaux individuels. Ce sont plutôt les établissements qui doivent changer pour supprimer les obstacles d’exclusion et assurer l’accès à leurs milieux, ce qui est au coeur même du travail d’équité, de diversité et d’inclusion. La sensibilisation pourrait bien être insuffisante. Il faut agir pour éliminer les obstacles systémiques enchâssés dans nos établissements.

Les établissements postsecondaires, comme la plupart des institutions sociales, ont toujours exclu les personnes ayant des handicaps par des politiques, des pratiques et des infrastructures capacitistes. Souvent, les politiques qui visent à favoriser l’inclusion ne vont pas assez loin. Par exemple, le cadre d’ « adaptation » (décrit comme l’obligation juridique d’offrir des mesures d’adaptation raisonnables) laisse toujours entendre que la prestation d’un environnement sans obstacle représente un fardeau. Ainsi, le capacitisme demeure omniprésent et normalisé en milieu postsecondaire.

L’un des défis provient du fait que le capacitisme est cimenté dans le cursus. Dans de nombreux programmes universitaires, notamment dans les matières liées à la santé, il est fréquent d’aborder le handicap comme une anomalie qu’il faut corriger ou éliminer plutôt que comme un volet normal de l’expérience humaine. Il faut réfléchir à l’expérience des étudiants ayant un handicap qui entendent leur instructeur affirmer qu’ils ont besoin d’être « réparés » ou réadaptés.

Il est important de convenir des progrès réalisés en matière de capacitisme, mais en réalité, des obstacles importants persistent sur le plan de l’accès et de l’inclusion au sein des établissements d’enseignement supérieur canadiens. Par conséquent, nos établissements risquent de perdre ces professeurs et étudiants talentueux, écartés par le capacitisme.  

Une critique des pratiques d’adaptation et de divulgation 

Les panélistes ont souligné l’importance de distinguer les mesures d’adaptation de la conception universelle. D’une manière générale, les mesures d’adaptation désignent une tentative réactive d’inclure les personnes qui réclament du soutien, pourvu qu’elles produisent les documents appropriés. En revanche, les principes de conception universelle de l’accessibilité visent à concevoir les cours et les espaces physiques de manière à offrir un environnement inclusif pour tous, afin de limiter les demandes individuelles de suppression des obstacles.

Par exemple, une mesure d’adaptation peut consister à proposer aux étudiants qui présentent un handicap visuel ou un trouble d’apprentissage une durée plus flexible pour effectuer les examens ou les travaux. Elle peut consister à préparer du matériel pédagogique qui n’est pas évalué par des examens à durée déterminée. La conception universelle réduit le capacitisme parce qu’elle déleste de ce fardeau l’étudiant, le professeur ou le membre du personnel qui trouve l’environnement défavorable.

Les mesures d’adaptation ont longtemps été considérées comme une solution, mais elles représentent souvent des tentatives de réaménager des façons de faire qui n’ont jamais fonctionné. Elles peuvent être associées à des vices de raisonnement. Par exemple, on pense à tort que les besoins d’accès des étudiants leur procurent une aide supplémentaire et un avantage injuste. En réalité, de nombreux étudiants finissent par ne plus demander les mesures d’adaptation dont ils ont besoin en raison de la stigmatisation, des obstacles administratifs et de la honte.

Pour compliquer la situation, les pratiques et les politiques varient d’un établissement postsecondaire à l’autre. Les mesures d’adaptation proposées dans une école peuvent être complètement différentes dans une autre.
L’obligation de fournir une preuve médicale de handicap représente un obstacle majeur aux demandes des étudiants, des professeurs et du personnel. Ce type de divulgation est une atteinte à la vie privée. L’acquisition des documents administratifs nécessaires pour démontrer son handicap peut également se révéler un processus coûteux et chronophage.

Et si toute l’énergie que nous consacrons à adapter un vieux mode d’enseignement reposant sur le temps et les examens nous la déployions plutôt pour en créer un nouveau au sein duquel les étudiants ayant un handicap n’auront pas à toujours réclamer des mesures d’adaptation, mais verront leurs besoins déjà planifiés. Un mode d’enseignement au sein duquel aucun étudiant ou professeur ayant un handicap ne sera accueilli avec surprise. – Jay Dolmage
 

Les professeurs

Il peut être décourageant pour les professeurs de divulguer leur handicap. Un panéliste a révélé que seulement 42 % des universités canadiennes disposent d’une politique écrite sur les mesures d’adaptation pour les professeurs. En raison de cette lacune, les départements et les établissements peuvent être mal préparés à soutenir correctement leurs professeurs.

L’absence de politique convenable pour prévoir l’adaptation aux handicaps peut contrevenir à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les établissements qui ne possèdent pas de politique de ce type devraient travailler avec les professeurs, le personnel, les associations d’étudiants aux cycles supérieurs et les associations étudiantes à en mettre une en place. Les établissements sont tenus de respecter leurs obligations juridiques. Les hauts dirigeants doivent en être conscients.

Les professeurs et le personnel doivent souvent divulguer leur handicap à leur chef de département ou à leur superviseur, et les mesures d’adaptation sont souvent tirées du budget du département ou de l’unité. Certains professeurs peuvent craindre que les mesures d’adaptation soient perçues comme « un coût pour le département » ou nuisent à leurs possibilités de promotion ou à leurs évaluations de rendement. Les panélistes se sont dits préoccupés par le fait qu’en l’absence de politiques appropriées pour les soutenir, les professeurs ayant un handicap sont forcés de quitter le milieu universitaire. Ils ont également souligné l’importance de maintenir en poste les personnes en situation de handicap, car elles représentent un précieux élément de diversité dans les collèges et les universités.  

Les étudiants

Les étudiants sont aux prises avec le capacitisme institutionnel dès leur arrivée sur le campus. Leur première interaction avec un instructeur les oblige souvent à divulguer leur handicap puisqu’ils ont besoin de mesures d’adaptation en classe. Les étudiants sont forcés de répéter leur demande ad nauseam, et parce qu’une certaine stigmatisation est associée au handicap, il n’est pas raisonnable de s’attendre qu’ils reprennent sans cesse la démarche : c’est un processus lourd qui peut leur donner l’impression d’être un fardeau. Pour certains étudiants, la consultation des services de santé ou d’accessibilité les déshumanise, parce qu’elle médicalise leur handicap. Par conséquent, ils ne feront pas de demandes d’adaptation. 

Les recherches démontrent que 24 % des étudiants universitaires canadiens déclarent avoir un handicap, mais que seulement 6 % à 9 % d’entre eux demandent des mesures d’adaptation. Ainsi, beaucoup moins d’étudiants demandent des mesures d’adaptation que le nombre de ceux qui pourraient en profiter. Par conséquent, moins d’étudiants ayant des handicaps obtiennent leur diplôme. Bien que 27 % des Canadiens détiennent un diplôme universitaire, seulement 17,6 % des Canadiens qui ont un handicap en possèdent un. Pour corriger cet écart, le milieu postsecondaire doit en faire davantage pour éviter que les étudiants ayant des handicaps abandonnent leurs études avant de décrocher leur diplôme.

Les étudiants ayant un handicap qui arrivent au collège ou à l’université ont vécu de multiples désenchantements. Les mesures d’adaptation ne devraient pas être abordées comme un problème de « charge de travail » pour le personnel. Les panélistes étaient d’accord pour affirmer que les étudiants ne devraient pas devoir constamment sortir leur documentation ou réclamer des mesures d’adaptation à l’accessibilité. Des iniquités sont également liées à l’accès aux mesures d’adaptation, car les évaluations exigent du temps et de l’argent. L’ « adoption anticipative », qui oblige un établissement à évaluer les diverses exigences relatives à l’accessibilité en amont pour que les cours soient pleinement inclusifs, fait partie des solutions proposées. La surcharge de travail peut également contribuer à la lassitude à revendiquer l’accès, car celle-ci incombe à chaque professeur et à chaque étudiant plutôt que d’être une responsabilité du système dans son ensemble. 

Les étudiants aux cycles supérieurs

Les étudiants aux cycles supérieurs sont dans une situation unique, parce qu’ils suivent des cours et travaillent comme assistants à l’enseignement ou instructeurs. Ils doivent composer avec deux systèmes distincts : les services d’accessibilité aux étudiants et les ressources humaines du personnel universitaire. Le fardeau relatif aux demandes d’adaptation s’en trouve ainsi doublé. Les campus devraient harmoniser leurs politiques pour que ces deux bureaux se transmettent directement les mesures d’adaptation que réclament les étudiants aux cycles supérieurs.

Les étudiants aux cycles supérieurs ayant un handicap tirent également profit du mentorat et du soutien de leurs collègues pour s’y retrouver dans les systèmes institutionnels et composer avec la stigmatisation, parce qu’ils peuvent craindre de divulguer leurs besoins d’accessibilité à des professeurs qui sont à la fois leurs instructeurs et leurs superviseurs.

Les étudiants aux cycles supérieurs ne sont pas tous en mesure de mener des études à temps plein, car un handicap peut influer sur la capacité au travail et le rythme de travail, mais la plupart des programmes ne fournissent des bourses qu’aux étudiants à temps plein. Les administrateurs peuvent accroître les possibilités des étudiants aux cycles supérieurs ayant un handicap en créant des modes de financement des études à temps partiel.

Les membres des laboratoires ou des services ne devraient pas être surpris par l’arrivée d’étudiants aux cycles supérieurs ayant un handicap. Les laboratoires et les départements doivent être prêts à soutenir les besoins d’accessibilité des nouveaux étudiants aux cycles supérieurs. Les départements peuvent s’y préparer par un audit sur l’accessibilité afin de s’assurer d’être prêts à soutenir tous les étudiants, quelles que soient leurs capacités. Par exemple, les laboratoires et les classes devraient être accessibles aux fauteuils roulants, les postes de lavage des mains et les lutrins devraient être accessibles en position assise, et le sous-titrage devrait être offert lors de tous les événements. Les professeurs et les membres du personnel devront peut-être installer des logiciels à l’intention des nouveaux étudiants et recevoir une formation pour les utiliser. Les établissements doivent également disposer de politiques claires pour que les départements puissent demander un financement ponctuel afin d’accroître l’accessibilité ou d’assurer l’accès à des événements publics.

Pour terminer, l’administration des universités ou des collèges qui créent des politiques ou un bureau de soutien aux étudiants ne devrait pas hésiter à utiliser le terme handicap.

En effet, ce terme est souvent remplacé par des euphémismes comme « besoins particuliers », « expérience vécue pour favoriser la santé » ou « diversité corporelle ». Ce peut être positif, puisque les étudiants ne sont pas tous à l’aise d’assumer une identité donnée, mais lorsque la situation de handicap n’est pas énoncée clairement, les étudiants ayant un handicap risquent de se fondre dans la masse. Les termes « personnes ayant des handicaps » ou « personnes en situation de handicap » sont largement acceptés de nos jours.

 


 

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