Allocution d’ouverture

Wisdom Tettey
Wisdom Tettey, vice-recteur, Université de Toronto, et directeur, Université de Toronto à Scarborough

C’est un grand honneur que de m’associer aux plus de 3 000 collègues et partenaires inscrits à ces dialogues historiques sur le racisme anti-Noir et l’inclusion des Noirs, qui est le premier de la série des Dialogues nationaux et plan d’action pour favoriser l’inclusion dans l’enseignement supérieur et communautés. Je tiens à ajouter ma voix à celle du recteur Meric Gertler et à offrir la plus chaleureuse des bienvenues à toutes les personnes présentes.
Avant de poursuivre, je tiens aussi à vous exprimer ma gratitude, car c’est grâce à votre participation à tous si la journée d’aujourd’hui est devenue une réalité. Je remercie nos établissements partenaires d’un océan à l’autre. Près de 60 établissements ont répondu à l’appel, et bien d’autres sont représentés par des collègues. Je remercie le comité consultatif interinstitutionnel, les experts, le comité de planification de l’Université de Toronto et le groupe de collègues dévoués et tenaces de l’Université de Toronto à Scarborough qui nous ont guidés avec diligence vers ce moment.

Nous nous sommes réunis pour favoriser une discussion nationale et pour mettre en oeuvre des actions concrètes afin d’apporter des changements dans l’enseignement supérieur et dans les communautés. Nous nous concentrerons sur le partage d’expériences et d’idées et sur l’exploration et l’apprentissage des pratiques exemplaires, afin de parvenir à des changements vérifiables qui rejetteront résolument le racisme anti-Noir et mèneront à l’inclusion concrète des Noirs dans chaque université et chaque collège, le secteur de l’enseignement supérieur et les communautés.

Pour entreprendre ce parcours, il faut avoir l’humilité d’admettre la réalité du racisme systémique et l’insuffisance de ce que nous avons fait jusqu’à présent et aspirer à ce que nos établissements et notre secteur deviennent de meilleures versions de ce qu’ils sont actuellement. Ce processus peut évidemment être désagréable, mais le malaise qu’il crée n’est rien en comparaison avec la banalisation de l’exclusion, la marginalisation, la dévaluation et le dénigrement que certains ont l’habitude d’alimenter, et avec la réalité des communautés noires, racisées et autochtones.

Pour bousculer l’ordre établi, nous devons contester la normativité structurelle représentée par certaines formes de privilège et de marginalisation, adopter une approche critique et embrasser la force de notre malaise lorsqu’il est orienté vers la promotion de la justice et l’évacuation du venin que représente le racisme anti-Noir. Si nous voulons réaliser notre travail, nous devons avoir le courage de nos convictions en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, abandonner les platitudes pour privilégier des attitudes et des actions ancrées dans une conscience de l’équité, nous engager à aller jusqu’au bout et bâtir une culture qui respecte les principes et les engagements dont nous connaissons – ou devrions connaître – la justesse.

Pour aborder la tâche qui nous attend, il est bon de tous nous percevoir comme des personnes dignes d’équité, et d’éviter le terme « à la recherche d’équité ». Comme je l’ai remarqué dans d’autres contextes, ce vocabulaire peut s’appuyer sur de bonnes intentions, mais perpétue une perception malencontreuse, celle que les groupes sous-représentés et marginalisés sont des intrus à la recherche de faveurs ou de concessions. Les personnes qui vivent aux marges de la communauté ont droit à l’équité. Elles ne devraient pas avoir le fardeau de chercher à l’obtenir ni sentir qu’elle leur est accordée comme un privilège découlant de la générosité de ceux qui ont le pouvoir de la leur donner, et donc de la leur reprendre.

Un cadre axé sur les droits, « digne d’équité », vient avec l’attente d’une reddition de compte, particulièrement des puissants et des privilégiés, afin que l’accès aux droits ne soit pas calibré en fonction de la race. Ce n’est pas une option ni un choix, mais une obligation dont nous devons être dignes.

À titre d’établissements et d’organisations d’apprentissage qui forment à la pensée critique et stimulent la connaissance, nous devrions ouvrir la voie en excluant le terme « à la recherche d’équité » pour privilégier « digne d’équité », plus puissant et inclusif. Ainsi, nos compatriotes pourront prendre la place qui leur revient, celle de véritables membres du milieu universitaire, dans le fonds et dans la forme, et non pas servir d’accessoires ou de symboles transactionnels secondaires.

L’inclusion des Noirs ne nous diminue pas, elle ne nous enlève rien, mais nous enrichit. Nous sommes réunis ici parce que nous croyons pouvoir transcender ce que nous sommes aujourd’hui par une collaboration intègre et honnête, nous entendre sur des actions concrètes pour construire un meilleur « nous ». Pour devenir ce meilleur « nous », nous devons adopter une unité d’objectifs et d’humanité, non par la division, le dénigrement, l’iniquité et la dévaluation de certains, non par l’exclusion dans nos activités, nos structures et nos modes de fonctionnement standards au quotidien, non en attendant la prochaine manifestation majeure de ces iniquités qui déclenchera une nouvelle vague d’indignation sincère, artificielle ou fallacieuse.

Si nous cédons à des mesures d’excellence étroites d’esprit et préconçues qui dévaluent les expériences, les perspectives et les connaissances des Noirs, nous restreignons notre capacité à nous prévaloir des avantages et des conséquences de leur contribution. Ces dialogues pourraient nous rapprocher de notre aspiration à devenir une démocratie mature où l’humanité de chacun, et non la couleur de sa peau, détermine sa place de personne digne d’équité.

Nous nous améliorons grâce à notre ouverture à apprendre, à notre capacité à être empathiques et compréhensifs, au pouvoir de reconnaître les injustices et de chercher à les réparer, au sentiment d’accomplissement qui vient avec le fait de se remonter le moral les uns des autres et à la conscience que le désapprentissage des éléments qui réduisent notre humanité commune peut être le meilleur catalyseur de la croissance personnelle et de l’enrichissement des communautés.

Il est important d’écouter ceux qui vivent les manifestations quotidiennes de l’inégalité, de l’iniquité et du racisme individuels et structurels. C’est pourquoi nous ancrons les délibérations en recoupant les voix des Noirs, qui deviennent le point de départ de tous les dialogues concomitants. Les expressions de voix subalternes qui dénoncent les inégalités et la discrimination ne devraient pas être étouffées par des termes codés comme « culture du bannissement » ou « politique identitaire », délibérément imprégnés de connotations négatives visant à démotiver et à éroder la crédibilité.

Les échanges seront difficiles, mais nous pouvons définir ensemble la voie à suivre vers ce qui est juste, équitable et enrichissant pour tous. Ce travail sera ardu, très exigeant pour et envers nous. Il nous éprouvera, mais nous faisons partie des personnes les mieux préparées et les mieux placées pour vaincre les difficultés, ouvrir la voie et détruire les piliers débilitants de l’exclusion, du racisme anti-Noir et de la discrimination.

À titre de partisans et de détenteurs d’une éducation supérieure au Canada, nous avons l’occasion unique de livrer l’une des expressions les plus importantes d’une démocratie novatrice et véritablement mature, d’une communauté inclusive qui considère tous ses membres comme dignes d’équité. Le fardeau de l’ordre établi est d’une lourdeur sans nom pour nos collègues noirs et les communautés dont ils font partie, mais ils n’ont pas à le porter et à le soulever seuls. Nous devons tous nous unir dans cet effort, faire notre part collective et individuelle, sans relâche et avec authenticité, pour livrer la promesse d’une société juste, consciencieuse et équitable, la promesse d’un milieu d’enseignement supérieur où personne n’est rejeté ou dévalué à cause de sa race, ni considéré comme un paria, un citoyen de seconde zone ou constamment appelé à lutter pour se sentir inclus, pris en compte ou ressentir un simple sentiment d’appartenance. C’est ce qu’il faut faire pour maîtriser les riches avantages de l’excellence inclusive.

Le parcours doit commencer maintenant, avec sérieux et dans l’urgence. Les appels nonchalants, fragmentaires, réactifs et épisodiques de la conscience sont un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. On constate un cynisme justifiable, chez ceux qui appuient cette initiative tout autant que chez ceux qui la rejettent. Le cynisme des premiers tire son origine de l’histoire, puisque les paroles ne se sont pas transformées en actions soutenues et ancrées, où l’instrumentalisation alléchante et éphémère avait le haut du pavé. Le cynisme des seconds est stimulé par la conviction que l’ordre établi – qui leur est exclusivement ou largement bénéfique – est inaliénable, parce que la société n’a pas la témérité d’agir dans le bien de tous.

Nous devons gagner la confiance du premier groupe par nos actions et, ce faisant, établir en toute clarté que nous ne sommes pas disposés à poursuivre sur une voie qui nous appauvrit parce que nous nous accrochons à des appels à courte vue, anachroniques et moribonds à demeurer les pires versions de nous-mêmes, selon lesquelles nous nous épanouirions seulement par le dénigrement d’autrui ou le refus des chances, ou seulement lorsque la valeur d’autrui est définie par des contraintes structurelles.

Dans nos rôles d’éducateurs, nous ne devrions pas gâcher cette occasion d’agir concrètement. Autrement, nous éroderons irréparablement la bonne volonté dont les membres de notre communauté ont fait preuve par leur participation aux présents dialogues. Nous nous laisserions nous-mêmes tomber, sans compter les prochaines générations.

Tandis que nous nous affairerons à créer ensemble la Charte de Scarborough contre le racisme anti-Noir et pour l’inclusion des Noirs dans l’enseignement supérieur au Canada, nous devrons nous rappeler que la valeur d’une charte se mesure à l’aulne de notre capacité d’en respecter les principes, les actions et les responsabilités. C’est pourquoi je nous exhorte à les mettre en oeuvre avec le plus de vigueur et de sincérité possible, dans les contextes précis de nos établissements et de l’ensemble du secteur. La charte nous guidera sur la voie de la réussite. À chaque action entreprise dans l’esprit de la charte, nous ancrerons fermement nos progrès tout en alimentant la prochaine série d’étapes nécessaires, nous assurant ainsi de résultats suivis et pérennes.

Nous devons être éclairés par ce qui est faisable, mais ce que nous définissons comme faisable ne doit pas être restreint par ce qui est pratique et facile. Nous devons faire le nécessaire pour nous rapprocher de nos idéaux et de nos valeurs. Nous devons nous montrer exemplaires dans ce qui est juste et que nous pouvons réaliser ensemble par notre engagement pour l’excellence inclusive qui repose sur un principe fondamental : tous les membres de notre communauté sont dignes d’équité.

Nous sommes nombreux à avoir tiré profit des luttes, des revendications et des sacrifices du peuple noir pour l’équité, l’égalité et la justice, à l’origine de nombreux droits et libertés devenus banals aujourd’hui. Notre travail au cours des deux prochains jours s’inscrit dans ces efforts, qui commencent par la lutte des Noirs pour l’équité, mais qui rejaillissent pour le bien de tous.

Je nous souhaite à tous des délibérations productives, collégiales et respectueuses. Je vous remercie tous d’avoir répondu à l’appel et de vous engager à fournir un résultat dont nous pourrons tous être fiers, à la fois en notre nom personnel et au nom de chaque établissement et de l’ensemble du secteur.

 

coorganisateur des Dialogues nationaux, Wisdom Tettey,
vice-recteur, Université de Toronto, et directeur, Université de Toronto à Scarborough

 


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